Où est-ce que je pose le pied ? C’est la scène ou bien l’échafaud ? J’avais promis de ne plus jamais revenir, et me voilà, encore. Qu’est-ce que je vais bien pouvoir dire ? Est-ce qu’il y avait un texte à apprendre ? Je ne m’en souviens pas. Je l’ai oublié !

Avant de monter sur le plateau, nous sommes tou.te.s traversé.e.s par ces questionnements qui, aussi dérisoires soient-ils, nous semblent, à l’instant d’entrer dans la lumière, le point de bascule de notre existence. Chacun.e affronte cela avec sa méthode : le rire, les exercices, le maquillage, le silence…

Il ne s’agit pourtant pas de la peur unique de l’acteur.ice, Jouer son petit numéro, avouer ses erreurs, tenter de faire une blague, dire ce qui nous était resté sur le cœur… Il s’agit toujours de lutter pour se tenir droit et raconter son histoire.

Ce déséquilibre face au vide, cette peur de sombrer traverse toute l’écriture de Jean-Luc Lagarce. Travailler avec ses mots, c’est avancer le pied dans le vide, trembler, et tenter, toujours dignement, de se maintenir en équilibre.

Avec les comédien.ne.s de la promotion sortante, nous avons travaillé à partir de trois de ses pièces : Nous, les héros ; Music-Hall ; et Hollywood, qui mettent en jeu des paroles d’acteur.ice.s.

Il s’agissait ainsi de proposer un espace de recherche autour de notre raison de nous tenir là, sur le plateau : revenir à ce qui nous pousse – individuellement et collectivement - à entrer dans la lumière.

Refuser les certitudes, avouer ses faiblesses, murmurer sa vérité : c’est en travaillant ensemble avec ces vertiges qu’il me semble comprendre pour la première fois ces mots de Louis Jouvet inscrits dans la hall de notre école :

le comédien vaut l’homme, et tant vaut l’homme, tant vaut le comédien.

Mars 2020.

Incertains : Qui ?

Les personnages de ce très grand dramaturge ?

Les jeunes comédiens qui sortent de cette école – dans une période particulièrement difficile – pour tenter de réaliser leur rêve d’acteur ?

En vérité, toute l’aventure humaine est frappée d’incertitudes, à commencer par chacune de nos existences.

C’est pourquoi j’observe, avec une joie si profonde, cette jeunesse ligotée par la pandémie – si dure pour toutes les générations – s’élancer vers son avenir, à peine plus incertain que d’habitude... avec une ardeur et un espoir que je partage !

Je tiens à leur dire que les rêves de jeunesse quand il sont puissants et tenaces, longuement, se réalisent... parfois ; moi, en tout cas, j’en témoigne.

Mars 2020.